Assos citoyennes : résister et construire

Le Collectif des Associations Citoyennes (CAC), signataire du manifeste OSEF, vient de publier un livret d’analyse des politiques macroniennes et de ses conséquences pour le monde associatif. Il s’articule en trois volets :

  • une analyse du programme et de l’action gouvernementale en termes de destruction de l’État social, des droits de la démocratie, avec « à la fois » des concessions mineures qui brouillent les pistes ;
  • une réflexion sur la bataille d’idées autour de société civile et du rôle des associations ;
  • des perspectives pour envisager comment les associations peuvent résister et construire dans ce nouveau contexte.

Nous en publions ici des extraits.

Un pas de plus dans la pensée néo-libérale : « tous entrepreneurs »

  • Le discours développé pendant la campagne [d’Emmanuel Macron] puise dans un discours social-libéral qui n’a rien de nouveau, mais n’avait cependant jamais été porté aussi ouvertement au sommet de l’État. On peut le résumer en 7 points :
  • L’individualisme devient la valeur suprême : « mon objectif, c’est davantage de prise en compte des destins individuels que des destins collectifs », « le véritable enjeu de la politique est de donner à chaque individu la capacité de réaliser son destin et d’exprimer son talent ».
  • Chacun doit prendre des risques : « Nous allons réconcilier notre pays avec le goût du risque, du droit au chômage pour tous avec la volonté d’entreprendre, avec la volonté de créer, à tous niveaux ». La société est conçue comme une vaste start-up. L’ubérisation généralisée de la société est présentée comme un modèle qui va libérer la capacité créatrice des individus.
  • Cela signifie la fin des statuts, des protections accordées par la loi : fin de la protection sociale, affaiblissement du Code du travail, fin des protections accordées à certaines professions réglementées ou catégories protégées (les notaires, mais aussi les personnes handicapées). La retraite doit être calculée en fonction du parcours de chaque individu, quels que soient les aléas de la vie. Toutes les sécurités, toutes les protections sont présentées comme des archaïsmes et des rigidités. La loi 1901, les statuts associatif, coopératif, mutuel en font partie.
  • L’égalité des chances au départ permet de redonner à chacun le goût du risque afin « que chacun puisse courir à la vitesse qu’il veut, ou même ne pas courir s’il n’a pas envie de courir, mais au moins qu’il puisse partir de la même ligne de départ ».
  • La modernité et l’innovation sont présentées comme des impératifs majeurs face aux bouleversements du monde et des progrès technologiques jugés de plus en plus rapides, qui vont casser en permanence ce qui existe, même depuis peu, au profit de ce qui est nouveau et forcément plus moderne.
  • Chacun peut se réaliser, ça ne dépend que de lui. C’est une philosophie qui prend le parti de l’optimisme. « Nous sommes l’audace qui veut réconcilier, qui veut forcer à l’optimisme volontaire qui est le nôtre et pour changer à jamais le visage de la France ».
  • Le renouvellement et la simplification sont présentés comme des promesses d’amélioration. Cependant, rien n’est envisagé pour contraindre l’économie, qu’il s’agisse du réchauffement climatique ou de l’emprise du capitalisme sur la vie des gens. Le pouvoir se contente d’apporter un certain nombre de « bouées de sauvetage » dans les cas les plus dramatiques. En ce sens on peut le qualifier de social-libéral.

Ce discours, même s’il se veut général, rencontre surtout un écho chez les entrepreneurs, les classes dominantes et dans le monde de l’entreprise. Il fait de la France une vaste entreprise qu’il faut mener à la réussite.

Le modèle des start-ups

Le 13 avril, Emmanuel Macron est intervenu au sommet des start-up organisé par Challenges. « L’audace, l’agilité presque animale qui incite à se relever, à faire pivoter un modèle d’affaires, à réinventer son projet initial. La soif d’apprendre, de découvrir et de faire différemment. La France doit devenir la nation des start-ups. Il faut passer d’une économie du rattrapage à une économie de la compétence ou l’on donne des chances à chacun, où les talents et mérites peuvent se révéler d’où qu’ils viennent et les accélérations sont des opportunités ».

De fait, ce discours s’adresse à ses pairs. Il concrétise le rêve des jeunes diplômés, qui n’ont pas connu l’échec, de transformer la société à leur image. Les envolées lyriques en faveur de la start-up ont plus d’écho auprès des étudiants des grandes écoles que des jeunes de banlieue. Mais ce discours résonne auprès des classes moyennes car les valeurs de l’individualisme et le désir de s’enrichir marquent profondément l’éducation, les relations sociales, les médias, y compris les réseaux sociaux. Il laisse entendre « qu’il n’y a pas de jeunes condamnés, il y a seulement des jeunes sans projet ». Un miroir aux alouettes qui ne date pas d’aujourd’hui, mais qui marche toujours car il cristallise une sorte d’espoir.

Tous milliardaires, ou tous ubérisés ?

Ce discours traduit aussi la méconnaissance par les élites bourgeoises de la société réelle dans son immense majorité. En effet, la création d’entreprises suit deux tendances :

  • la courbe de l’ubérisation des emplois dans les services concerne des jeunes dotés d’un faible capital scolaire, qui recourent au statut d’auto-entrepreneur pour échapper au chômage ;
  • l’inclination des hauts diplômés à devenir consultants ou créateurs d’entreprises. Le profil type est celui d’hommes, jeunes, sortant des grandes écoles et des écoles de commerce.

Les premiers deviennent sous-traitants de grandes entreprises, assument les risques inhérents à leur statut ainsi que leur propre protection sociale, dans la plus grande précarité. L’illusion dans ce domaine ne peut pas être durable. Pourtant, Emmanuel Macron vient de créer des « emplois francs » avec le budget 2018, résurgence des zones franches de la politique de la ville, déclarant que « les jeunes Français doivent tous avoir envie de devenir milliardaires ».

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La novlangue de bois du franglais comme véhicule culturel

Président de la République, gouvernement, nouvelle majorité parlementaire mais aussi thuriféraires de la « macronie » et de la « t-up nation » utilisent un vocabulaire empruntant à la mode du « franglais », comme si utiliser un langage ésotérique était une preuve de modernité. Le plus souvent ce langage camoufle une vacuité de la pensée et un vide des concepts. Il est aussi une forme de reconnaissance entre adeptes d’une même idéologie, comme dans les sectes. Il se veut le langage des affaires, d’un « business  », exclusif de toute autre considération. Souvent justifiée par le fait que pour être compris il faut parler la langue de la finance et des affaires, son utilisation marque aussi un mépris pour sa propre langue maternelle et les autres langues. Ce n’est pas un hasard si lorsqu’il a invité 140 patrons de multinationales au château de Versailles, le 22 janvier 2018, la veille de l’ouverture du Forum de Davos, E. Macron s’est exprimé devant eux en anglais.

Un seul exemple, caricatural, est la présentation le 18 janvier 2018, par Christophe ITIER, Haut-commissaire à l’Économie sociale et solidaire auprès de Nicolas HULOT, ministre d’État de la Transition écologique et solidaire, de « l’accélérateur de l’innovation  »  : Cette initiative appelée « French IMPACT » s’appuiera sur un réseau de « Hackers French IMPACT  » et « aura une logique : OPEN INNOVATION ; OPEN SOURCE ; OPEN DATA ». Les « serial entrepreneurs  » participant à ce lancement sont venus « pitcher  » leur expérience en mettant en avant leur « soft skills  » et « gamification  », « le rationnel économique des start-up  », dans la « start-up nation  », dont le seul horizon est de devenir « milliardaire  » rapidement.

La recherche d’un néolibéralisme de « seconde génération »

A travers toutes les mesures envisagées par Emmanuel Macron, on peut discerner de sa part et de la part de ceux qui le soutiennent la recherche d’un nouveau style, d’une sorte de synthèse dans laquelle les éléments essentiels du capitalisme (accumulation des profits, prééminence de l’entreprise et de l’initiative individuelle dans un cadre de concurrence dure, avec « permis de tuer  ») seraient accrus, mais en y incorporant des éléments permettant de le rendre attractif et acceptable pour les nouvelles générations. Alors que le premier néolibéralisme, dans la tradition de Hayek et de la Société du Mont-Pélerin, était ouvertement anti-démocratique, on voit se dessiner aujourd’hui dans différents pays « un néolibéralisme de seconde génération  » qui se réclame de l’égalité des chances, de l’inclusion et de la responsabilisation de l’individu.

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